Publié le 15/08/2022 par Nathan Lioret
Dans ce troisième et dernier article sur la fabrication et le recyclage du plastique, nous allons voir différentes méthodes low-tech de valorisation du plastique. Nous allons voir les méthodes que nous avons croisées au cours de nos recherches pour le projet Tri-Haut pour l’Everest, sans toutefois prétendre donner une liste exhaustive de toutes les méthodes existantes.
Voyons d’abord les étapes préliminaires à la plupart des méthodes de recyclage : le tri, le broyage et le lavage. Pour ce qui est du tri, nous l’avons largement étudié dans l’article précédent, [Le tri du plastique], je vous invite à aller le lire si vous ne l’avez pas encore fait.
Le broyage
Lors de la mise en forme des objets plastiques, la matière première est généralement composée de petites billes homogènes de plastique que l’on vient faire fondre et mettre en forme suivant différents procédés (voir notre article précédent [Le plastique sous toutes ses formes]. Nombre de procédés de recyclage, low-tech ou non, utilisent les mêmes principes de mise en forme. Mais pour cela, il faut que les déchets soient à nouveau transformés en petits éléments homogènes de plastiques : la petite taille des éléments est assurée par l’étape de broyage, réalisée par un broyeur. Voyez plutôt cette vidéo, assez satisfaisante à regarder, d’un broyeur avalant une bouteille plastique pour la recracher en petits copeaux :
Il existe bon nombre de technologies de broyeur, à des échelles très différentes car cette étape est indispensable à tout centre de recyclage, que ce soit un petit centre low-tech comme celui que nous allons construire avec le Tri-Haut, ou un gros centre industriel.
Parmi toutes ces technologies, nous avons choisi celle proposée par la communauté Precious Plastic, une communauté mondiale pour le traitement low-tech du plastique qui nous a beaucoup inspirée comme nous le verrons dans une prochaine partie. Son principe est assez simple, il s’agit de faire tourner deux sets de lames courbes en sens contraire pour aspirer tout en coupant le déchet en petits morceaux.
Il existe des centres spécialisés dans le seul broyage des déchets plastiques, qui vendent ensuite les petits bouts obtenues à des industriels afin qu’ils refassent de nouveaux objets avec. Cela se fait beaucoup pour les plastiques PET (bouteilles plastiques), ceux qui sont les plus recyclés, car leur achat est souvent plus coûteux neuf que recyclé, ce qui n’est pas forcément le cas pour les autres types de plastiques.
Le lavage
Nous l’avons vu dans la section précédente, la plupart des procédés de recyclage nécessitent d’avoir une matière première (faite à partir des déchets plastiques) qui soit des petits morceaux de plastiques homogènes. Le lavage, combiné au tri, assure l’homogénéité du plastique. Il consiste à retirer les éléments ajoutés aux objets (étiquettes, film aluminium…) et à le nettoyer des impuretés (terre, poussière, restes alimentaires…).
A nouveau, différentes technologies existent à toutes les échelles car c’est une étape presque aussi indispensable que le broyage. Il se fait généralement après le broyage afin de pouvoir nettoyer toutes les surfaces (par exemple, l’intérieur d’une bouteille fermée est inaccessible avant broyage).
La première étape consiste à nettoyer les copeaux de plastique, généralement avec de l’eau, soit à la manière d’une machine à laver avec un tambour rotatif, soit en remuant un bac d’eau dans lequel flottent les copeaux. C’est cette deuxième option qu’ont choisi Plastic Odyssey, une organisation luttant contre la pollution plastique dont nous reparlerons plus tard, avec leur bac à lavage. Cette méthode fonctionne bien avec les plastiques légers (PP, PE, PS) qui flottent en surface alors que les impuretés coulent. Elle marche moins bien avec le PET et le PVC qui sont plus lourds que l’eau eux aussi.
Une seconde étape de centrifugation permet de séparer les dernières impuretés ainsi que l’humidité due à la première étape. Pour cela, on utilise une centrifugeuse, aussi bien à l’échelle low-tech qu’à l’échelle industrielle. La centrifugeuse verticale proposée par Plastic Odyssey consiste simplement à faire tourner rapidement un cylindre cerclé d’une trémies suffisamment large pour laisser passer les impuretés et l’eau mais tout de même plus petite que les copeaux de plastique. Ainsi, on obtient du plastique pur, sec et sans saletés, la matière première idéale pour les machines qui suivent.
Precious Plastic
Nous avons déjà parlé de machines Precious Plastic pour le broyage sans toutefois expliquer ce qu’était réellement cette communauté.
Precious Plastic est un projet de recyclage low-tech du plastique, entendez à l’échelle artisanale. Il a été lancé en 2012 par Dave Hakkens et vise à démocratiser le recyclage du plastique en permettant à tout un chacun de mettre sur pied sa propre usine miniature de recyclage. Pour cela, des plans de machines peu onéreuses ainsi que des tutos sur comment les monter et comment les faire fonctionner, ou encore comment gérer différents types d’atelier de recyclage, sont disponibles en open source sur leur site internet (https://preciousplastic.com/index.html). On peut aussi directement acheter les machines auprès de personnes qui en fabriquent, c’est ce que nous avons fait pour notre projet. Au final, l’idée de Precious Plastic est de rassembler des personnes au sein de communautés locales pour le recyclage du plastique.
Parmi les machines proposées par Precious Plastic, on retrouve évidemment le broyeur et la machine de lavage que l’on a vu précédemment, mais aussi quatre machines destinées à la mise en forme du plastique :
- L’extrudeuse permet de transformer le plastique broyé en un fil de la forme du moule placé en sortie. Le principe est assez simple : une vis sans fin chauffe et achemine le plastique broyé jusqu’au moule qui, sous la pression exercée par l’apport continue de matière, vient donner sa forme au plastique, qui refroidit une fois à l’air libre, pour figer sa forme. Partant de ce fil, ou de profilés de différentes formes, on peut le garder tel quel ou l’enrouler sur lui-même à la manière de l’osier. On peut aussi placer un autre moule, fermé celui-ci, en sortie de l’extrudeuse pour créer des poutres, que l’on peut ensuite tordre et assembler (voir la vidéo suivante).
- La presse à feuilles plastiques permet de fabriquer, comme son nom l’indique, des feuilles à partir de plastiques. Il s’agit simplement de comprimer du plastique entre deux plaques, en le chauffant pour qu’il puisse s’agglutiner. On peut ensuite découper ces plaques, les tordre en les faisant chauffer localement à l’aide de moules, et les assembler pour créer des objets, notamment du mobilier ou des contenants.
- La presse à injecter de Precious Plastic est une version miniature de celles utilisées dans l’industrie, tout comme l’extrudeuse d’ailleurs. Elle permet de créer de petits objets en injectant, à l’aide d’une vis sans fin à nouveau, du plastique chauffé dans un moule. Le plastique va alors prendre la forme du moule et donner l’objet désiré une fois refroidi.
- La machine de compression ressemble un peu à la presse à feuilles. Il s’agit de remplir un moule composé de deux parties (bas et haut) de copeaux de plastiques et de mettre le tout dans un four entre deux plaques qui vont venir comprimer l’ensemble afin que le plastique prenne la forme du moule une fois refroidi.
Le principal problème des machines Precious Plastic est leur incapacité à traiter le plastique PET, qui est très capricieux du fait d’un intervalle de température de fusion très précis comparé aux autres plastiques, et d’une tendance à s’effriter lorsqu’on le refroidit. Seule la presse à injecter peut éventuellement être utilisée avec du PET, pour de tout petits objets. C’est avec du PP et du PE que les machines Precious Plastic marchent le mieux.
En combinant l’utilisation de ces machines, on peut créer une infinité d’objets en plastique : table, toupie, porte-clé, chaise, panier, caisses, briques, « œuvres »…
Plastic Odyssey
Plastic Odyssey est une organisation d’origine marseillaise qui lutte contre la pollution plastique en mer. Pour cela, elle cherche à agir en amont, c’est-à-dire directement auprès des populations qui produisent ces déchets plastiques, pour les inciter et les aider à fabriquer leurs propres machines de recyclage low-tech. Ils travaillent aussi avec les populations pour trouver des solutions afin de réduire leur consommation de plastique, notamment en ce qui concerne tous les plastiques à usage unique.
On peut trouver sur leur site (https://plasticodyssey.org/), de la même manière que pour Precious Plastic, tout un ensemble de machines low-tech en open source. Parmi elles, on retrouve à nouveau un broyeur et un bac de lavage, mais aussi une extrudeuse, une presse hydraulique, un four à plaques, un compacteur et une pyrolyse.
- L’extrudeuse de Plastic Odyssey fonctionne globalement de la même manière que celle de Precious Plastic bien qu’elle soit beaucoup plus puissante (environ 5 kW pour l’extrudeuse pro de Precious Plastic contre un peu moins de 50 kW pour celle de Plastic Odyssey), mais donc aussi plus cher, plus lourde, plus volumineuse… Un barillet est aussi proposé par Plastic Odyssey, c’est un support pour les moules permettant de réaliser des profilés de tailles et sections diverses, il permet d’optimiser l’utilisation de ces moules en évitant d’avoir à arrêter l’extrudeuse à chaque changement de moule (mais simplement à tourner le barillet), contrairement à l’extrudeuse Precious Plastic.
- Le four à plaques de Plastic Odyssey permet de créer des plaques à partir de copeaux de plastique. Il s’agit simplement de faire chauffer le plastique dans un moule en forme de plaque. Mais contrairement à la presse à feuilles de Precious Plastic, ici les plaques ne sont pas comprimées. Si on veut obtenir des plaques lisses et compactes, il faut les placer encore chaudes dans la presse hydraulique que nous verrons juste après. Avec la technologie de Plastic Odyssey, il faut donc deux machines pour faire ce que fait Precious Plastic avec une unique machine. Mais la presse hydraulique peut être utilisée différemment aussi, comme nous allons le voir juste après.
- La presse hydraulique permet déjà d’améliorer grandement la qualité des plaques produites par le four à plaques, comme nous l’avons vu. Mais son champ d’application est bien plus large que simplement créer des plaques plates. L’intérêt majeur de la presse hydraulique apparaît lorsque l’on place un moule (en deux parties : fixe et mobile) entre les deux plateaux et que l’on vient mettre de la matière entre ces deux parties du moule. Soit de la matière sortant de l’extrudeuse, soit une plaque sortant du four à plaques, dans tous les cas elle doit être encore chaude et malléable. En exerçant ensuite une forte pression homogène sur le moule, grâce à des vérins hydrauliques, on force la matière à se répartir dans toute l’empreinte du moule. On obtient ainsi, une fois refroidis, des objets très divers selon les moules choisies. Cela s’apparente à la machine à compression de Precious Plastic, mais sans chauffage.
- Le compacteur ne permet pas de recycler le plastique, il permet simplement de compacter les déchets en des balles compactes afin qu’ils prennent nettement moins de place si on veut les transporter ou simplement les stocker. On réduit ainsi considérablement le volume occupé par les déchets, mais il devient alors plus difficile de les séparer pour les trier car ils sont emmêlés dans la balle.
- Nous parlerons plus en détail de la pyrolyse dans une prochaine section, et plus encore dans notre article [La pyrolyse]
Polyfloss Factory
Polyfloss Factory est une petite entreprise britannique, initialement créée par des étudiants londoniens, qui fabrique une machine permettant de transformer les plastiques PP et PET en laine isolante pour les bâtiments et les vêtements (doudoune, duvet…).
Cette machine présente de grands intérêts pour le recyclage low-tech du plastique. Il s’agit déjà de la seule machine permettant de recycler facilement et efficacement les plastiques PET, qui sont très difficiles à traiter avec des machines Precious Plastic et Plastic Odyssey du fait de leur température de fusion très précise et de leur tendance à s’effriter au refroidissement. Elle est toutefois optimisée pour le traitement du PP. De plus, elle permet de traiter des quantités assez importantes de plastique (10 kg/heure) et ce en continue, il suffit de l’alimenter en plastique. Elle consomme relativement peu d’électricité (600 W, contre 5 kW pour une extrudeuse Precious Plastic par exemple). Enfin, elle est facile à utiliser et à maintenir.
Au vu de ses nombreux avantages, il est évident qu’une telle machine sera présente dans notre centre de tri au pied de l’Everest !
Art
Ce n’est pas une méthode de recyclage low-tech à proprement dite mais c’est intéressant de voir ce que certaines personnes arrivent à créer comme œuvres d’art à partir de simples déchets plastiques récoltés dans des décharges comme on en trouve tellement au Népal, et dans bien d’autres pays du monde malheureusement.
Le meilleur exemple pour cela est le projet Sagarmatha Next, qui se situe dans la même vallée que notre projet, un peu en contrebas. Je vous laisse aller y jeter un œil si cela vous intéresse : https://www.sagarmathanext.com/.
La pyrolyse
Avec la pyrolyse, nous rentrons dans les méthodes un peu plus éloignées du recyclage à proprement dit, mais qui permettent tout de même une valorisation certaine des déchets. Il permet de traiter les déchets qui sont désormais difficilement recyclables (trop sales, trop mélangés, déjà recyclés plusieurs fois…).
Nous avons vu dans le premier article de cette série de trois articles sur le plastique, [Le plastique sous toutes ses formes], que les matières plastiques sont en fait un assemblage de molécules d’hydrocarbures mises bout à bout pour former une longue chaîne, à savoir des polymères. L’idée de la pyrolyse est d’effectuer le processus inverse : en chauffant le plastique en absence d’oxygène, à plus de 450 °C, la plastique s’évapore et ses liaisons se brisent : une partie se condense en fioul, une autre partie reste sous forme gazeuse, et une dernière petite partie forme du wax, une substance solide dont on ne sait pas encore quoi faire.
Il est fréquent d’effectuer plusieurs fois d’affilée le processus de pyrolyse (chauffage et condensation) au moyen de plusieurs condenseurs (3 dans le cas de notre prototype) afin d’améliorer la qualité du fioul. Le gaz produit peut être utilisé afin de chauffer les chambres de combustion. Dans notre cas, comme l’électricité ne devrait pas être un problème du fait de la construction prochaine d’une centrale hydroélectrique dans la vallée, nous cherchons à récupérer ce gaz pour permettre aux habitants de se chauffer notamment. Nos recherches continuent sur ce point, et sur le wax également.
L’avantage de la pyrolyse est qu’elle nécessite une phase de pré-traitement moins importante que pour les machines de recyclage : si le broyage en amont est très recommandé, le lavage n’est pas indispensable, bien qu’il permette d’améliorer les résultats obtenus, comme le montrent nos expériences sur le prototype. C’est un processus très efficace pour les plastiques PP et PE mais qui ne fonctionne pas très bien avec d’autres plastiques comme le PET…
S’agissant d’une technologie qui n’est pas encore tout-à-fait mûre, du fait d’une industrialisation difficile et du faible prix du pétrole, nous effectuons beaucoup de recherches et d’expériences sur la pyrolyse.
Si vous souhaitez en savoir plus, nous avions écrit l’année dernière un article dédié à ce procédé sur notre site, [La pyrolyse]. Nous le mettrons à jour au fur-et-à-mesure de nos avancées.
L’incinération
L’incinération n’est pas non plus une méthode de recyclage à proprement dite, mais il peut permettre de valoriser énergétiquement les déchets plastiques en récupérant la chaleur produite, soit directement en injectant la chaleur dans un réseau de chaleur, soit en la transformant en électricité.
Nous n’allons pas nous attarder sur cette technologie largement répandue car nous l’avions déjà fait dans un précédent article, [L’incinérateur], quand nous projetions encore d’installer un incinérateur dans la vallée.